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ENCORE SUR DESTIN ET TRAGÉDIE | Theatrumundi
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ENCORE SUR DESTIN ET TRAGÉDIE

23.04.2018
ENCORE SUR DESTIN ET TRAGÉDIE

ENCORE SUR DESTIN ET TRAGÉDIE

Le point de départ s’est toujours joué sur deux plateaux : le politique et le poétique. Michel Foucault, interrogé sur quel était le livre qui avait pu donner vie à ses réflexions, à son expérience d'une lecture déconstructive - une lecture qu’au temps jadis on appelait post-structuraliste - avait cité La généalogie de la morale de Nietzsche. Cela reste une indication de départ parce qu'il est difficile de faire théâtre si l'on oublie l'importance de La naissance de la tragédie de Nietzsche et ce que l'élaboration de la leçon de Nietzsche a concrètement apporté au théâtre, actualisée par Artaud.
En réalité La naissance de la tragédie de Nietzsche, selon la vision artaudienne, est liée à une condition de crise profonde du rangement cognitif ordinaire et du rangement cognitif de cette chose qu'on appelle Occident. L'Occident est une production identitaire absolument fictive, qui repose sur différents axes. Mon travail cherche à tenir compte de la perspective déconstructionniste. Pour cela il doit être conscient des dynamiques liées à la naissance du concept d'Occident. Il y a un moment crucial de la culture qui concerne ce glissement de la civilisation de l'écriture, un passage liminal vers l'affirmation du système de la tragédie en tant que système institutionnalisé.
Cette chose s'entrelace aussi avec la condition historique précise dans laquelle on se trouve à vivre et à agir maintenant, qui est l'horizon méridien dont la tragédie est la mesure, une des mesures les plus hautes de la tradition méditerranéenne. Mon intérêt, ma tension déconstructive a cherché à tenir compte des éléments de crise, qu'on peut appeler crise de la métaphysique occidentale. Selon l'indication de Jacques Derrida la métaphysique occidentale est liée au phallo-phonologocentrisme et il est clair que de et dans ce phallocentrisme la pensée féminine est expulsée, refoulée, effacée, niée. Cette trace de la métaphysique occidentale produit des dispositifs précis comme la modernité. C'est pour cela que la déconstruction est un instrument efficace en tant que tentative de dépassement de la modernité. Ce dépassement, qui a pris des noms différents, tels que surmodernité, postmodernité, marque une séparation très nette entre modernité et pensée méridienne. La modernité est dépassée par la pensée méridienne, non pas en tant que développement progressif, mais comme altérité radicale et profonde.
La question devenait, dans une perspective méridienne - qui est une perspective postmoderne et déconstructive - de comprendre que la dimension méridienne représente une alternative au pouvoir. Un degré différentiel extrême par rapport à la centralité, au capital, au centre de commandement du G7, du G8, qui va devenir G10, ou de la banque mondiale, de la macdonaldisation, c'est-à-dire de ces processus qu'on désigne, avec beaucoup de confusion et métaphysiquement, par le terme de globalisation. Tout cela concerne une question que j'ai traitée depuis longtemps, c'est-à-dire de chercher, dans la recherche artistique, la résistance des corps aux principes de domination, aux machines de domination, aux principes de commandement de la domination. Dans la postface de mon recueil de poèmes intitulé Altri luoghi (Autres lieux), je dis : “ Chercher le sang dans l'écriture”.
Chercher le sang dans l'écriture était déjà en 1986 un objectif nécessaire et clair. Cet objectif s'était révélé insuffisant dans la page poétique, dans l'activité éditoriale, parce qu'il supposait non pas une idée d'intervention commune, communautaire, collective, mais une relation absolument individuelle et solitaire entre soi et le papier et puis entre le papier et le soi qui lit. Cette ligne du sang de l'écriture, du corps qui revient sans cesse comme définition de corps sonore, supposait déjà une ligne de bordure et de démarcation avec une aire problématique qui est celle de la relation entre écriture et corps ou écriture des corps. Du reste, la modernité a toujours tracé une identité forte véhiculée par le pouvoir instituant de l'écriture. Aujourd'hui encore ces cultures qui ne sont pas douées d'une écriture sont décrites comme cultures minoritaires, inquiétantes, anomales, différentes, ingouvernables comme le montre bien la question de la culture Rom, toujours définie comme non culture. Ce problème est aussi lié à la culture populaire, à la culture des classes subalternes, pour reprendre les termes de Gramsci, qui étaient des cultures orales et qui comme tout ce qui appartient à l'univers de l'oralité souffre de minoritarisme.
En effet la modernité est en crise depuis plusieurs années. L'affirmation de Nietzsche de la mort de Dieu, approfondie par celle de Foucault de la mort de l'homme, qui en est conséquente, a permis à Derrida de parler de l'inutilité de la représentation et de rêver un théâtre qui dépasse le concept de représentation, ce qui a toujours été pour moi un impératif fort, bien que difficile à réaliser.
Cette nécessité méridienne avec cette tension nietzschéenne, artaudienne, m'a porté à choisir de travailler sur certains sujets, qui au début rentraient dans un ensemble plus grand : celui de la figure du féminin dans le domaine du pré tragique. C'est-à-dire de chercher à saisir à l'intérieur des mythes fondateurs de la culture classique grecque les éléments fondamentaux du féminin. Cela parce que je crois que la terre dans laquelle je vis est une terre fortement marquée par le féminin. Toutes mes oeuvres sont marquées par la présence du féminin. Cette centralité de la figure féminine devient de plus en plus substantielle à partir de la question de la pensée méridienne. Cette tension qui traverse tout mon travail a pris forme pendant le travail sur Médée et sur celui de Médée à Artémis, puis à Déméter. Tout cela a toujours été filtré par une revendication forte: la tragédie est une forme poétique et non pas une forme narrative. Et c'est une forme d'écriture dansante et chantante, non pas une forme du récit ni du roman.
Donc la tension poétique est une tension profondément explosive et la tragédie est une forme poétique, non pas une forme narrative. Dans mon travail j’ai abouti à la nécessité de traverser l'écriture par un renouvellement de ma langue, car je veux une langue nouvelle. A travers l'interrogation sur le fondement de la pensée méridienne et de la dimension féminine, j'ai pensé à aborder deux des livres de sagesse les plus importants de la Bible, L’ Ecclésiaste et Le Cantique des Cantiques, - ce qui est devenu le spectacle Q - il cantico dei cantici per lingua madre, où j'aboutissais à une langue nouvelle, une langue qui pouvait s'inventer, qui n'avait pas de lien avec mon expérience précédente d'écriture, parce que elle me portait à chercher une dimension multi topique de l'écriture.
La langue pouvait aboutir à une question constante. A partir d'un patrimoine savant et poétique tel que le Cantique des Cantiques et l'Ecclésiaste on pouvait arriver à se demander comment certains mots pouvaient être transformés charnellement. Q n'est pas une oeuvre de traduction, mais plutôt un défi poétique. C'est une tension de la réécriture, qui se réinvente, d’une pensée poétique, non philologique, non littéraire. Je ne connais pas le sanskrit, je ne connais pas le grec ancien, je ne connais pas la langue hébraïque, je ne connais pas l'arabe, je ne connais pas en définitive ce qu’on appelle l'écriture originaire de ces textes. De ce corpus, une grande partie de l'humanité n'a lu que des traductions et j'ai essayé de faire un discours de traduction poétique des traductions. Ces éléments m’ont porté à aller encore plus à fond dans le pré tragique, c'est-à-dire vers un système qui était encore à la limite de la civilisation orale et de la civilisation scripturale, ou pré scripturale. Ceci donc m’a porté à la nécessité de penser à une déconstruction du tragique. C'est alors que nous sommes parvenus à un travail très difficile et dur sur le comique.
Le comique représentait pour moi, à ce moment-là, une réponse déconstructive au tragique. Je l'avais défini comme la capacité de rire de dieu, d'un dieu qui se nourrit de tragique. Dieu n'est pas capable d'être comique. C'est là la grande tragédie de dieu, du moins du dieu chrétien, catholique, du dieu qui est sur la croix, qui a besoin de saigner, qui a besoin de mourir pour renaître. Une série d'images truculentes qui marquent une vision du sacré, dans la tradition chrétienne, et spécifiquement catholique. C'est alors qu'on comprend le couvent des capucins à Palerme : tous ces corps momifiés, cette redondance de la mort. Ou l'inscription sur les murs des cimetières du sud de l'Italie : “Comme tu es je fus, comme je suis tu seras”. Ainsi que la pensée baroque. Eléments fondateurs de la civilisation chrétienne qui est hantée par l'idée de la résurrection.
J'ai essayé de parler du comique avec un peu de passion et même de rire extrême. Il me souvient d'une phrase qui n'est jamais entrée dans le spectacle: “La conscience du Nord est tragique, c'est pour ça qu'elle est comique; la conscience du Sud est comique, c'est pour ça qu'elle est tragique”. Prenant acte de ce que les gens ne riaient pas même si l’on faisait du comique, j'ai cherché à reprendre la question du féminin et j'ai pensé que la tragédie pouvait être la façon de se mesurer avec le théâtre, avec le système théâtre.
La tragédie présente des éléments très importants qui aujourd'hui encore continuent à stimuler ma réflexion et ma présence dans les questions du théâtre. Il y a des tas de lieux communs et de mystifications sur la tragédie qui sont tout à fait à déconstruire. Construction culturellle de ce qu'on définit comme tradition. À ce propos l'oeuvre de Lacoue-Labarthe sur l'imitation des modernes est un instrument important. On connaît certes quelque chose de l'univers de la tragédie, mais en effet c'est très peu par rapport au système complexe et articulé de la tragédie et à son rôle significatif dans le débat de certaines communautés. Il était important pour moi de réussir à réfléchir de nouveau sur la centralité féminine, et c'est alors qu'on a rencontré un texte très important d'une philosophe espagnole, Maria Zambrano, qui a vécu de nombreuses années en exil en Italie : La tombe d'Antigone. Cette oeuvre n'avait pas une structure tragique. C'était une tentative qui avait toujours existé souterrainement, exprimer la pensée, poser la question: peut-il exister un théâtre philosophique? Peut- être le théâtre a-t-il toujours été philosophique. Les formes qui s'interrogent sont fondamentalement du théâtre philosophique. Il y a, par exemple, beaucoup de pages de Marx sur la tragédie. Il était attentif aux tragédies et en était passionné.
Antigone permettait de consolider des éléments présents dans le travail. La nécessité de dépasser l'espace théâtral ordinaire, l'espace de la salle théâtrale. C'était comme si l'on cherchait cet élan que l'espace sacral avait perdu dans la société du spectacle. La modernité est cette étrange imposture qu'on appelle Occident, qui a créé entre autres choses la salle théâtrale, en appelant « théâtre » un lieu clos. Le théâtre ancien n'était pas isolé, exclut, séparé d'un système de lieux plus articulé(s), complexe(s) et non clos, mais impliquait une relation avec l'horizon, avec l'altitude, avec une spatialité beaucoup plus articulée. Le fait d’(en)fermer le théâtre dans une salle a permis d'instituer un régime de spectacularisation, la société de l'entertainment y voit un niveau extraordinaire d'économie, qui est la forme de la métaphysique la plus violente de l'Occident. J'ai essayé de recouvrer des éléments qui avaient mûri pendant notre parcours, qui concernaient l'écologie théâtrale, c'est-à-dire la possibilité d'avoir une relation entre l'espace et l'élaboration des images des corps dans un espace.
C'était une chose qu'on avait déjà faite, avec le spectacle Nos, dans des lieux urbains abandonnés. Q-le cantique des cantiques avait été réalisé près de la mer et dans les pressoirs hypogés (i.e. certains sites archéologiques). Mais Antigone représente un passage considérable de thématisation des lieux, que l'action théâtrale allait transformer. Cela a été encore plus vrai quand on l'a réalisé dans les ports de la Méditerranée. La Méditerranée est pleine de ports construits très récemment. Plusieurs fois ils ont été construits en jetant du ciment sur la mer. Ce fut le cas par exemple à Bari, à Limassol, à Tricase, à Zakynthos. Des lieux qui portent la déchirure de leur abandon. Nous avons travaillé pour connaître et pour faire des rencontres. Cette connaissance a résonné avec quelque chose de très important à Chypre, qui concernait l'urgence de ce que l'on disait. À Chypre nous avons mieux compris que l'histoire d'Antigone n'est pas une histoire littéraire, mais qu’elle a la valeur d'une existence qui nous appartient.
Le spectacle Antigone, qui s'intitulait Antigone-anatomie de la résistance de l'amour , adapté de La tombe d'Antigone de Maria Zambrano - avec un profond respect pour ce texte - posait une question centrale sur le féminin. Ce travail rencontrait des éléments essentiels de l'univers multiple méridien, à partir de l'expérience du regard. Expérience du regard liée à un lieu maritime du sud de l'Italie, Marina Serra, à une tour absolument sans vie qui s’y trouve. C'est cette tour qui a appelé Antigone, et non pas le contraire. Dans Le lait de la mort, une des nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar, il y a une histoire, qui connaît une grande diffusion dans le monde Méditerranéen. Il y est question d’une tour de repérage, construite par trois frères, qui s’écroule sans cesse, jusqu'à ce qu'ils se décident d'y murer le corps d'une femme afin qu'elle la soutienne et qu’ainsi la tour ne s'écroule plus. Il me semblait y voir l'histoire d'Antigone. Dans son livre, Maria Zambrano choisissait de dire qu'Antigone - bien que sous la contrainte - ne mourait pas, ne se suicidait pas, parce que celle qui donne la vie au monde ne peut pas se priver de la vie, ne peut pas offrir un choix de mort. C'est pour ça qu'on croyait que les femmes ne pouvaient pas être soldat. Antigone- anatomie de la résistence de l’amour fut donnée à Limassol, en utilisant l'eau. L'image d’ouverture montrait le lavage du corps mort du frère sans sépulture, le fait d'honorer la loi très humaine de la vie contre celle de la raison d'état. La question posée à Limassol “Est-ce que vous connaissez la guerre fratricide ?”, a immédiatement donné sens à ce qu'on avait fait dans tous les autres lieux. Ce moment-là nous a fait entrer d’un seul coup dans l'histoire de la Méditerranée à laquelle nous appartenons. Une fois fait Antigone et une fois posée cette question, notre regard est devenu plus clair. Il y a eu la guerre et la participation de l'Italie à la guerre en Irak (ce qui reste une honte absolue). Et la conscience de devoir dire quelque chose contre la guerre et contre cette implication active, impardonnable, de l'Italie.
Je crois que chacun a son propre devoir politique dont il faut tenir compte, et donc les gens qui font du théâtre ont le devoir de parler à travers le théâtre. Pour moi c'est un choix politique très fort. Ainsi nous en sommes arrivés aux Troyennes. Au moment où l'Italie entrait en guerre en Irak, il était essentiel de dire que la guerre était de la merde. L'intuition qu'on a eue était profonde et naissait de la réflexion sur la présence autour de la Méditerranée d'un patrimoine commun, celui du chant funèbre. Le texte de Nicole Loraux, La voix endeuillée, est très important pour comprendre certains éléments de déconstruction fondamentaux, à savoir que la tragédie n'est pas un facteur de recomposition, mais marque au contraire une rupture, le trait distinctif d'un processus historique. C'est une interprétation déconstructive qui met en question les lieux communs du concept de katharsis, d'un aristotélisme très catholique dont nous sommes malheureusement victimes. Cette question posée par Loraux dans La voix endeuillée et cette conscience, qui a mûrie en travaillant autour de la Méditerranée, de la présence constante du chant funèbre nous ont permis de travailler sur la densité et la stratification des langues, sur la pluralité des langues qui est un autre aspect fondamental de la perspective méridienne.
Dons de guerre, le titre du spectacle basé sur Les Troyennes d'Euripide, reprenait des éléments sur ma langue mère, car quelques textes du choeur étaient écrits dans une langue néo-salentine, qui n'est pas une langue précise et codifiée. D’autres textes étaient en anglais et les autres dans les différentes langues que l’on a rencontrées dans les différents lieux de nos spectacles. Cela a été un moment important et riche car des acteurs et actrices d’Italie, de Grèce, de Chypre, de Turquie et de Malte ont travaillé ensemble malgré les difficultés. Dons de guerre a eu différentes versions, dans divers lieux de la Méditerranée pour se conclure en Jordanie et en Syrie, toujours à la rencontre, d'une façon de plus en plus profonde, de la dimension d’un conflit, d'une blessure ouverte. Et ce travail a permis aussi la rencontre avec l'Albanie, ce qui a ouvert une autre partie de notre travail. Cette rencontre avec le monde arabe, puis avec l'Albanie, m'a fait m’interroger davantage. Nous avions fait tout cela pour signifier notre refus absolu de cette barbarie qu’est la guerre. Mais à cet horizon guerrier s'est ajouté, durant l'été 2006, une autre tragédie : celle de l'invasion israélienne du Liban. Nous avions parlé de la guerre avec Dons de guerre, et pour toute réponse, l'histoire relançait d’une autre barbarie. Ainsi l'idée nous est venue de nous dédier à une autre tragédie, Les Perses d’Eschyle, qui est notre travail actuellement en cours et qui propose plusieurs niveaux de lecture. Le premier niveau, c'est qu'il n'y a rien de plus ridicule que la présomption de puissance de la part des puissants, rien de plus aveugle que leur vanité du pouvoir. Il est évident que ce modèle de la modernité occidentale est un modèle aveuglé par sa propre puissance, par sa position de domination, comme le montrent les gens qui nous gouvernent. Brutalité d’une soif inextinguible, absolument sans sens et profondément inhumaine, de pouvoir et de domination, à l’image des Etats-Unis qui sont les Perses de notre époque. Les Perses sont souvent utilisés philologiquement, d'une manière rusée, en les identifiant avec les Arabes et il y a des dizaines de mises en scène de ce type. Cela me semblait une déformation, aussi bien qu'une redondance. Dans Persae , notre spectacle basé sur la tragédie Les Perses, une autre question très importante et très riche est soulevée, celle du naufrage, et celle des corps qui se dispersent ainsi dans la mer. Ceci est l'autre inhumanité dominante en cours autour de notre mer. Des centaines de corps, cherchant à fuir la guerre ou la misère – cette autre forme de guerre, plus sournoise et dévastatrice, annihilante. Individus qui meurent et qu’on ne retrouvent plus, devenus nourriture pour les poissons, ou, comme les gens de Porto Palo, en Sicile, les appellent entre eux, des thons. Humanité de sans papiers, de sans droits d'existence. Il est nécessaire de reprendre la parole à propos de cette question urgente de la migration, de la question des corps migrants et je veux mettre encore plus l'accent sur cela dans cette phase de notre travail. On ne peut pas dire que le théâtre que nous faisons est un théâtre d'engagement social et citoyen, parce que le théâtre d'engagement social et citoyen est toujours une sorte de tautologie, se déclarant à soi-même ce qu'il veut déclarer. Je revendique mon appartenance au théâtre, c'est-à-dire la possibilité de parler de la réalité avec les instruments du théâtre. Je ne crois pas que le théâtre de chronique puisse s’inscrire profondément dans la réalité. Du reste la leçon absolue qui vient des tragédies classiques est cette capacité universelle, universalisante, qui prend vie et forme à travers une vision puissante de la réalité, une action de pénétration dans la réalité. Je parle de pénétration dans la réalité parce que cela continue à être un défi très important de travailler par le biais d’ateliers et par l'action concrète dans les lieux concrets.
Fabio Tolledi